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Le fléau insidieux des moisissures dans les logements

À la suite d’excès d’humidité ou des infiltrations d’eau dans les logements, des champignons peuvent proliférer et générer des marques de moisissures.  | Adobe Stock

Santé
En Suisse, un ménage sur cinq rencontre des problèmes de moisissures et d’humidité. Des soucis de santé à la déresponsabilisation des bailleurs, une jeune locataire de la région témoigne.

Marie*, 24 ans, pensait avoir trouvé son nid douillet à Vevey. Mais à peine installée qu’elle s’est mise à ressentir des symptômes inhabituels: maux de tête, gorge qui gratte, yeux qui démangent. Rapidement, elle identifie la source de son mal-être: une marque importante de moisissure recouvrant un coin du mur. Un test en pharmacie lui décèle en outre une allergie aux moisissures. Elle interpelle alors sa gérance et demande l’intervention d’un spécialiste. La réponse, qu’elle reçoit par mail, est sans appel: «Nettoyez la tache et aérez davantage.»

Face à ce manque de considération, la Morginoise d’origine se tourne alors vers sa protection juridique. Mais n’ayant qu’un avenant dans cette colocation, les chances de recours sont minces. Après quelques jours, elle décide de quitter les lieux. «Je ne pouvais pas rester là», souffle-t-elle. Alors elle nettoie, sans grand succès, les traces, passe un coup de peinture, et arrive à remettre le bail.

Par chance, sa mère et son conjoint s’envolent pour plusieurs mois à l’étranger et lui laissent leur appartement à Clarens. Le cas de Marie n’est pas isolé, puisque «un ménage suisse sur quatre ou cinq rencontre des problèmes de moisissures et d’humidité», selon l’Office fédéral de la santé publique (OFSP).

D’une simple tache au mur, un parcours du combattant s’amorce, entre procédures d’assainissement coûteuses, responsabilités contestées et santé fragilisée.

Champignons invisibles, mais redoutables

La moisissure résulte de la prolifération de champignons microscopiques. Avec un faible pour les environnements humides, mal ventilés et aux murs froids. Le plus redoutable, ce sont leurs spores, ces cellules reproductrices qui se propagent dans l’air. Invisibles à l’œil nu, elles sont capables de se répandre rapidement et de résister à des conditions extrêmes.

Outre les marques grisâtres, noires ou jaunes qu’elles peuvent laisser sur les murs, elles dégagent une odeur caractéristique de moisi. Les différents stades de moisissure sont précisés dans deux brochures de l’OFSP, disponibles sur son site.

Jérémie Cirillo, directeur de l’antenne nationale de l’entreprise Murprotec, spécialisée dans la lutte contre l’humidité, estime que la source des symptômes est trop souvent mal identifiée. Chaque semaine, il reçoit des clients se plaignant de problèmes de santé apparemment liés aux moisissures. Au bout du fil, celui-ci est rapidement interrompu par un appel de l’un de ses experts. «Il intervient justement en ce moment dans la chambre d’une petite fille, où des moisissures ont été repérées et l’enfant se plaint de difficultés respiratoires. Ça n’arrête pas, c’est tous les jours comme ça!», rapporte-t-il.

Jérémie Cirillo poursuit en évoquant le cas d’une vieille dame, dont l’expertise de son domicile en décembre avait révélé d’importantes proliférations fongiques. «Elle est décédée deux mois plus tard, ils ont retrouvé des traces d’Aspergillus sur ses poumons», s’indigne-t-il. Selon lui, sur les 2’000 interventions que l’entreprise réalise chaque année, près de la moitié est due à des problèmes de moisissure.

«En Suisse, on est très en retard sur ce sujet. Les gens pensent que donner un coup de peinture suffit, mais il faut aller à la source du problème, sinon ça risque de revenir.» Pour poser un diagnostic, ils recourent à des lampes UV pour détecter les spores invisibles et proposent divers traitements d’assainissement selon l’ampleur des dommages: injections de produits dans les murs, déshumidificateurs professionnels, par exemple.

Les bailleurs se défaussent

L’assainissement des lieux peut s’avérer coûteux, provoquant des tensions quant à qui incombe la responsabilité et donc la facture. Selon l’avocate Isabelle Dubois, consultante à l’Association de défense des locataires ASLOCA Vevey, cette problématique constitue un dossier particulièrement complexe. «Des cas de moisissures dans la région, ce n’est pas ce qui manque. C’est le sujet le plus difficile à résoudre. A priori, c’est un défaut. C’est donc aux bailleurs d’y remédier. Pourtant, ils nient et se dédouanent fréquemment, sous prétexte que c’est la faute des locataires; suroccupation, excès de meubles ou mauvaise aération.»

Selon Isabelle Dubois, les locataires sont rarement fautifs de tels dégâts, qui sont généralement causés par des bâtiments en mauvais état. Elle recommande alors aux locataires concernés de faire appel à l’ASLOCA pour faire valoir leurs droits.

La médecine tempère

Plus les surfaces moisies sont étendues et profondes, plus les risques sanitaires sont importants. Mais les moisissures sont rarement seules: elles cohabitent avec bactéries et acariens, rendant le lien de causalité et l’évaluation médicale plus complexes. Pourtant, selon l’OFSP, les symptômes sont bien avérés: irritations des voies respiratoires, des yeux, de la peau, voire bronchites chroniques, asthme ou réactions allergiques sévères. Chez les personnes déjà fragilisées, le risque de développer des infections graves, comme l’aspergillose broncho-pulmonaire allergique, est bien présent.

«Pour une personne en bonne santé, la probabilité de développer des problèmes respiratoires à cause de la moisissure est faible, mais pas nulle», affirme Pierre-Olivier Bridevaux, pneumologue aux hôpitaux Riviera-Chablais et du Valais. Dans ses consultations, les problèmes liés à la moisissure se comptent sur les doigts de la main, ce qu’il attribue à la bonne qualité des logements en Suisse.

En cas de suspicion, le protocole inclut une inspection visuelle du logement –dans un premier temps filmée par les patients eux-mêmes– et des analyses sanguines pour détecter d’éventuels anticorps spécifiques aux champignons. «Certains patients pensent à tort que ce sont seulement des taches, mais ils ne se doutent pas que cela pollue leur air intérieur», ajoute-t-il.

Le médecin souligne encore que dans tout formulaire médical relatif à des troubles respiratoires, la question de la qualité de l’air et de la présence éventuelle de moisissures dans le domicile est systématiquement posée.

*nom d’emprunt

Brochures de l’OFSP sur les moisissures: bag.admin.ch/bag/fr/home/gesund-leben/umwelt-und-gesundheit/wohngifte/gesundes-wohnen/feuchtigkeitsprobleme-und-schimmel.html

"Certains patients pensent à tort que ce sont seulement des taches, mais ils ne se doutent pas que cela pollue leur air intérieur”

Pierre-Olivier Bridevaux, Pneumologue

Trois conseils pour prévenir les champignons

1. Aérer minimum 15 minutes par jour, matin et soir.

2. Il est important de vérifier l’état de ses systèmes de ventilation, en particulier dans les pièces d’eau comme la cuisine et la salle de bain.

3. Placer un hygromètre dans les pièces suspectées et vérifier que le niveau d’humidité ne dépasse pas les 50-60%.

Quels recours pour les locataires ?

1. Envoyer un avis de défaut: «Il est important de fixer un délai et de suivre l’affaire de près, sans laisser traîner», recommande l’avocate Isabelle Dubois, consultante à l’ASLOCA Vevey.

2. Saisir la commission de conciliation: Si le bailleur refuse d’agir, il convient de saisir la commission de conciliation.

3. Recourir à la consignation du loyer: Cela consiste à déposer le loyer sur un compte bloqué jusqu’à ce que le défaut soit corrigé ou qu’un accord soit trouvé.

4. Porter l’affaire devant le Tribunal des baux: Si aucun accord n’est trouvé, le locataire peut porter le cas devant la justice.

5. Chercher un autre logement: En dernier recours, le locataire peut résilier le bail selon les règles.

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