
Depuis plusieurs années, une tendance a émergé dans les forêts: ramasser tout ce que l’on trouve avant de l’amener au contrôle. | J.-P. Guinnard – 24heures
«Si vous trouviez ce bolet sur l’étal d’un marché, vous l’achèteriez? Voilà la question à se poser.» Contrôleur de champignons à Châtel-Saint-Denis, le Saint-Légerin Patrik Wuillemin en voit passer des moches et des trop mûrs. Et parfois même des mortels. Surtout en cette période où les forêts sont prises d’assaut par les cueilleuses et cueilleurs de tous niveaux.
Chaque dimanche soir, ce passionné œuvrant pour l’Association suisse des organes officiels de contrôle (VAPKO) accueille une vingtaine de personnes et leurs paniers dans son local châtelois. L’occasion de les conforter dans leur choix de récolte, mais aussi d’échanger et de les sensibiliser aux dangers du monde mycologique.
«Une première recommandation de cueillette, c’est de ne pas choisir des champignons trop petits, commence-t-il. Quand ils ne sont pas ouverts, ils ne sont pas toujours reconnaissables. Il peut y avoir des risques importants de confusion. Par exemple, une amanite tue-mouches toute jeune ressemble à s’y méprendre à un pet-de-loup mature.»
Ne pas les choisir trop jeunes, mais pas trop vieux non plus. «Certains bolets arrivent parfois sur ma table dans un état de décomposition inimaginable. Ils sont rongés par des bactéries ou des moisissures toxiques.» Quand ce n’est pas par les vers… «Si ça grouille, je ne mangerais pas, recommande Patrik Wuillemin. Le problème, ce ne sont pas ces petites bêtes – à moins d’être végétarien – mais leurs déjections.»
On l’aura compris: le mieux est de les cueillir dans un état de fraîcheur et de qualité acceptable, comme on exigerait de les trouver dans le commerce. «Car on est toujours plus tolérant avec ce que l’on ramasse soi-même», avertit le mycophile.
La «moitié de la forêt» dans un sac
Dénicher cornes d’abondance et autres chanterelles est une chose, les transporter correctement en est une autre. «Il faut absolument éviter les sacs en plastique, chauds et humides. Cela favorise les micro-moisissures. Il vaut mieux s’équiper d’un panier ouvert. L’air peut circuler et il y a moins de risques d’écrasement.»
Dans son officine de la Veveyse, Patrik Wuillemin constate qu’il y a «deux écoles» en matière de collecte. «Il y a les cueilleurs drillés et soigneux, qui vous amènent des champignons dans un état impeccable. Et puis il y a l’autre extrême, où l’on voit arriver des cornets en plastique remplis avec la moitié de la forêt.» Et selon lui, c’est cette dernière approche qui prend actuellement le dessus. «Il y a de plus en plus de cueilleurs amateurs depuis le Covid. On va vers cette tendance qui consiste à tout ramasser pour ne rien rater, quitte à devoir jeter des kilos de champignons.» Et d’ajouter: «Notre rôle de contrôleur n’est pas de les sermonner, mais de leur donner des explications avec bienveillance.»
Enfin, le retour à la maison s’accompagne également de certaines règles élémentaires. «Les champignons doivent être conservés au même titre que de la viande, tant en température qu’en durée.» Il est donc conseillé de les mettre au frigo une fois rentré et de ne pas les y laisser trop longtemps. «Quelques jours tout au plus en fonction des espèces. Des brunissements ou des apparences savonneuses sont des signaux qu’ils ne sont plus comestibles.» Et lorsqu’ils finissent à la poêle, il faut les cuire pendant 20 minutes au minimum.
Délicieuse, mais mortelle
Sur les 10’000 champignons répertoriés en Suisse, seules quelques centaines sont comestibles. L’immense majorité d’entre eux sont non-comestibles, c’est-à-dire difficiles à digérer ou avec des goûts mauvais. «Enfin, plusieurs centaines de champignons sont toxiques, dont une dizaine mortels», relève l’expert. Le plus redoutable? L’amanite phalloïde. «Il suffit de 30 grammes pour tuer un adulte. Le pire, c’est qu’elle a un excellent goût. En la mangeant, vous ne remarquez pas que vous êtes en train de vous empoisonner.» Et d’ajouter que le dernier cas mortel dû à ce champignon en Suisse remonte à une douzaine d’années.
Du côté de Tox Info Suisse, qui gère le numéro 145, on relève que les intoxications dues aux champignons ne représentent que 2% de tous les appels reçus. «Il s’agit de quelques centaines d’appels par année, indique Patrik Wuillemin, et plus particulièrement en automne.» Maux de ventre, d’estomac, vomissements et diarrhées sont les symptômes qui surviennent dans la plupart des cas.
«Il y a aussi des cas d’intoxications psychologiques», note le contrôleur. Une espèce d’effet placebo, mais à l’envers. Exemple: «Il y a quelque temps, un cueilleur est tombé malade uniquement parce qu’il s’est fait du souci. Et pour cause, il a cru après-coup que les bolets qu’il avait ramassés avaient côtoyé des amanites phalloïdes. Mais il s’est avéré que c’étaient des amanites épaisses, et donc sans danger. Par ailleurs, il n’existe pas en Suisse de champignons qui peuvent contaminer par simple contact.»
Mais dans le doute, mieux vaut se rendre auprès de spécialistes officiels. «Les contrôles VAPKO sont gratuits dans 95% des cas», souligne le Saint-Légerin, qui évoque au passage une pétition visant à «sauver» cette spécialité helvétique qui fête ses 100 ans cette année. «La loi est en train d’être changée pour qu’on se dirige vers des autocontrôles.»
Ah, et inutile d’arriver avec votre panier plein à craquer à la pharmacie du coin, vous repartirez aussitôt avec. La légende est aussi urbaine que tenace. «En Suisse, les pharmacies ne proposent pas ces services», éclaire Patrik Wuillemin.
Plus d’infos:
vapko.ch
Certaines intoxications peuvent avoir de sérieuses conséquences. En témoigne Nathalie*, une Chablaisienne qui a vécu un épisode traumatisant il y a une vingtaine d’années, alors qu’elle venait de dîner dans un restaurant de la région. Elle se souvient: «Une heure et demie après avoir mangé des champignons en entrée – ils étaient jeunes et non ouverts – les vomissements ont commencé. De retour à mon bureau, j’ai été prise d’hallucinations. Ma vision était déformée, je voyais des formes et des couleurs partout. Au bout d’un moment, je ne savais plus qui j’étais, ni où j’étais.» Ses collègues la conduisent alors à l’hôpital, où elle est admise pour un «état confusionnel aigu». Pendant 24 heures, c’est le trou noir. Les examens concluront à une suspicion d’empoisonnement à l’amanite panthère. «Après quelques jours, je suis sortie complètement épuisée.» Depuis, Nathalie n’a jamais pu remanger un seul champignon. «J’adorais en cueillir, pourtant.»
*Prénom d’emprunt
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