
À l’occasion des Émergences musicales Montreux-Riviera, Agnès Jaoui rencontrera le public le 1er décembre autour de l’un de ses films, puis donnera le lendemain un concert au Caux Palace. | M. Castelli
Entre deux répétitions de l’opéra Don Giovanni qu’elle met en scène au Théâtre du Capitole à Toulouse, Agnès Jaoui prend le temps d’empoigner son téléphone pour évoquer sa venue à Montreux les 1 et 2 décembre.
Sur la Riviera, le joyau du cinéma français – sept Césars à son actif, dont un d’honneur l’an dernier – suit les traces de son ami Francis Cabrel, parrain et mentor des Émergences musicales, à Caux, où elle sera en concert mardi prochain. Son dernier album, «Attendre que le soleil revienne», est sorti sous le label d’une certaine Aurélie Cabrel, fille de Francis, et ce dernier chante avec elle sur un titre.
La veille, celle dont le nom reste indissociablement lié à plusieurs films culte – «Un air de famille», «On connaît la chanson», «Le Goût des autres» – ira à la rencontre de son public au cinéma Hollywood, à Montreux. Elle le fera lors de la discussion qui suivra la projection de «Ma vie, ma gueule», film posthume de Sophie Fillières, dans lequel elle campe une femme en proie à la crise de la cinquantaine. Elle enchaînera le même soir avec la dédicace de son premier roman «La taille de nos seins».
Un film, un album, un roman. Vous nous faites la totale à Montreux! C’est Francis Cabrel qui vous l’a suggéré?
– Exactement, il m’en a parlé et ça avait l’air trop bien, avec un concert dans une magnifique salle, et on est toujours bien accueilli en Suisse.
Vous y venez souvent?
– Régulièrement, quand on m’invite. En grande amatrice de peinture, je fréquente vos musées. J’étais récemment au Beyeler à Bâle, à Lausanne pour l’exposition Vallotton. À Montreux, par contre, ce sera la première fois.
Commençons par la chanson. Après avoir chanté en espagnol, en portugais, en hébreu et en arabe, votre quatrième album «Attendre que le soleil revienne» est le premier en français. Pourquoi?
– J’ai mis du temps à apprivoiser cette langue, pour le chant j’entends. Cela faisait longtemps qu’on me le réclamait aussi. L’espagnol, le portugais sont des langues maternelles de certains de mes musiciens et je les ai pratiquées dès l’enfance, elles font partie de mon ADN, de mon histoire. Sans compter que j’ai appris le chant avec le classique, en allemand et italien.
Dans vos chansons, le thème de l’amour est omniprésent.
– Le thème universel. Avec Jean-Pierre (ndlr: Bacri, son compagnon de parcours et de vie jusqu’à son décès en 2021), quand on travaillait sur «On connaît la chanson», nous avions beaucoup de mal à trouver des chansons qui ne parlaient pas d’amour. D’autre part, je n’avais pas de message engagé qui me venait. Et j’avais envie de m’amuser.
Il s’en est fallu de peu que vous ne privilégiiez le chant au théâtre.
– Oui, j’ai toujours mené ça de front. S’il n’y avait pas eu Patrice Chéreau (ndlr: le directeur du Théâtre des Amandiers de Nanterre où elle a suivi des cours d’art dramatique), j’aurais continué dans le chant. Mais il faut dire que c’est un sacerdoce, une discipline qui nécessite une hygiène de vie que je n’avais pas. Le chant impose de ne faire que ça, d’être un peu monomaniaque, alors que ce que j’aime par-dessus tout, c’est changer de milieu, d’art, d’univers.
Pourquoi être revenue au chant alors?
– Je n’en suis jamais partie, mais je ne m’étais pas professionnalisée. Je le faisais dans des églises ou dans des bars, avec des potes, parfois sous un faux nom.
«Ma vie, ma gueule» maintenant: quelle place occupe ce film dans votre parcours?
– C’est un film particulier, singulier – indépendamment du fait que la réalisatrice soit morte durant le montage – et qui a beaucoup touché les gens.
Avec «La taille de nos seins», vous avez choisi un thème très personnel pour votre premier roman.
– Oui, la période de la préadolescence. De la transformation de nos corps. Parallèlement, pour moi, l’enfant de Sarcelles, c’était la découverte de Paris. Je ne connaissais rien aux codes parisiens. Ce choc des premiers mots (masturbation, érection, désir, etc.), de la découverte de l’amour, de la sexualité, du regard des hommes. Cela a été une déflagration, je n’étais pas du tout prête à ce que ça déclenche chez eux.
Quand on lit votre biographie, on a l’impression d’un enchaînement parfait des événements. Ça a été aussi simple dans la réalité?
– Les premières années, de 14 à 30 ans, il n’y a rien eu d’évident. C’est ce que je dis aux jeunes: les passions, comme le chant et l’écriture, qui semblent de simples activités privées au départ, finissent par servir. L’opéra, je ne l’aurais jamais imaginé et là je mets en scène «Don Giovanni». Ces passions inutiles, même si elles me sauvaient la vie, ont éclos. Alors je le dis: <cultivez tous les arts possibles, pour vous et votre culture, mais aussi parce qu’un jour ça peut être utile.> Il faut insister, insister, continuer à y croire, réécrire, même si personne ne vous contacte.
Pourtant, dans plusieurs interviews, malgré la reconnaissance des pairs et du public, vous dites vous sentir illégitime…
– En vérité, c’est du passé. J’en ai eu marre de me sentir illégitime. Ce sont toujours les femmes qui se sentent ainsi. Alors j’ai décidé d’arrêter. Il était temps.
Le César d’honneur l’an dernier y a contribué?
– Probablement, mais c’est plutôt un travail personnel.
Il y a une personne qui a une place à part dans votre vie: Jean-Pierre Bacri. Que reste-t-il de lui dans votre travail?
– (Longue inspiration). D’abord, j’ai l’impression qu’il est toujours là… Vous verrez d’ailleurs dans le prochain film… (elle s’interrompt). Je ne sais pas quoi dire. Il me manque tout le temps. Par rapport à ce qui se passe politiquement actuellement, il aurait beaucoup à dire…
Agnès Jaoui, l’artiste, mais aussi la féministe, l’écologiste. La militante?
– Ce n’est pas le mot, qui est souvent perçu comme péjoratif. Mais heureusement qu’il y en a. Je n’oublie pas mes idéaux, mais je suis citoyenne avant tout, donc des choses me révoltent, me désespèrent. Forcément, j’ai davantage droit à une parole médiatique que d’autres. Sur tel ou tel sujet, j’ai dit ce que je pensais. Quand on me dit porte-parole, j’accepte. Féministe, oui, toujours. Mais humaniste, avant tout.
J’imagine que l’actualité au Proche-Orient, au vu de vos origines juives et de votre parcours de vie, fait résonner quelque chose en vous.
– Cela me rend triste, tout ce qui se passe est extrêmement douloureux. On parle de l’Amérique de Trump, mais jamais de l’Israël de Netanyahou. On confond tout: les extrémistes et un peuple, des Israéliens fous furieux d’un régime et tout une partie des Israéliens qui est contre depuis des années. C’est insupportable ces généralisations.
Pour finir sur une note légère, après le théâtre, le cinéma, la chanson et l’écriture, y a-t-il un autre défi artistique qu’Agnès Jaoui aimerait relever?
– Chanter dans une comédie musicale, au cinéma ou au théâtre.
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