Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

«J’ai explosé en plein vol face à ma normalité»

Entre rires et introspection, Yacine Nemra aborde l’échec avec lucidité et tendresse. | M. Corda

Vevey
Pour son premier spectacle solo, «Yacine Nemra est faible», l’humoriste vaudois se met à nu, entre egotrip et vulnérabilité. À découvrir début novembre au Théâtre de la Grenette.

Comédien, humoriste et chroniqueur radio, Yacine Nemra découvre l’improvisation théâtrale à 16 ans et y trouve une passion qu’il ne lâchera plus. Révélé au grand public en 2017 grâce à ses chroniques sur Couleur 3, il cofonde trois ans plus tard, aux côtés de Julien Doquin de Saint Preux, Yann Marguet, Valérie Paccaud et Blaise Bersinger, les capsules vidéo «Bon Ben Voilà». À 34 ans, il présente son premier seul en scène, «Yacine Nemra est faible», où il évoque avec humour et lucidité sa déception de ne pas avoir accompli de grandes choses.

Yacine Nemra, d’où vous vient cette conviction, enfant, que vous étiez destiné à marquer votre génération?
– Je suis né en Suisse romande, dans une famille aisée, avec des parents et des professeurs qui me voyaient comme un petit génie promis à une grande destinée. J’ai grandi dans un cadre confortable, où l’on me faisait croire que tout était possible. Très tôt, je me suis dit que, puisque je n’avais qu’une seule vie, il fallait que je devienne une méga-star dont on se souviendrait toujours.

Tout ne s’est donc pas passé comme prévu?
– Je suis devenu adulte et j’ai dû me rendre à l’évidence: je ne suis qu’un humain. J’ai raté ma matu, mis neuf ans à obtenir mes diplômes universitaires, et eu des problèmes de colon typiques des personnes âgées à l’aube de mes 30 ans. Tout cela m’a fait bien redescendre sur terre, et même en dessous…

Comment s’est déroulé votre processus d’écriture?
– J’avais déjà en tête d’explorer la thématique de l’échec bien avant de traverser un burn-out et une dépression. Tout au long de l’année 2024, j’ai travaillé avec Alain Borek sur l’écriture, parallèlement à ma thérapie. Durant cette période, j’ai expérimenté la psychothérapie assistée par psychédéliques. Chaque trip forme un chapitre du spectacle, qui passe d’un egotrip intense à la destruction de l’ego, pour conclure par la réconciliation avec moi‑même. Avec ce matériau de base, je suis parti à Rome, puis à New York pour rédiger seul le texte pendant trois mois. Mi-février 2025, j’ai retrouvé ma metteuse en scène, Tiphanie Bovay-Klameth, et mes dramaturges, Agathe Hauser et Alexis Rime. Ensemble, nous avons mis en forme la meilleure version du spectacle.

Il y aussi beaucoup de références aux années 1990…
– Je fonctionne beaucoup à la pop culture et ces références, comme «Stars Wars» ou «Friends», se sont imposées naturellement, puisque je suis né en 1990. Si je suis parti à New York, c’était aussi pour m’immerger dans l’univers culturel américain – humour, cinéma, musique – qui m’a profondément marqué en grandissant, sans doute plus encore que la culture japonaise.

À un moment du spectacle, vous vous montrez très critique envers vous-même…
– Oui, je m’auto-roast, c’est-à-dire que je me lance des remarques parfois dures à entendre, même si elles sont vraies. Cette pratique permet de faire entendre la voix de mon moi intérieur, longtemps très violente envers moi-même.

Comment avez-vous équilibré humour et récit?
– Ce n’est pas un spectacle où les vannes s’enchaînent à toute vitesse. Je préfère laisser le temps aux effets, raconter des histoires et faire arriver la chute au moment juste, plutôt que d’enchaîner les rires toutes les cinq secondes comme dans certains stand-up traditionnels.

Vous racontez d’ailleurs des moments très intimes…
– Je suis très à l’aise avec tout ce qui est raconté dans le spectacle, et tout est vrai. Pour moi, il est important de ne pas taire ce qui peut être honteux ou gênant, comme mes soucis de santé liés à une complication de la diverticulose du côlon, qui m’ont conduit à l’hôpital. Ce n’est d’ailleurs pas si intime que ça, puisque le personnel hospitalier en a été témoin (rires).
J’ai de la facilité à exprimer mes émotions et mes douleurs, comme l’anxiété ou la dépression. Des millions de personnes traversent ou ont traversé ces expériences, et les évoquer permet de dédramatiser. Mon histoire est un parcours parmi tant d’autres, pas une épopée héroïque. Je ne prétends pas avoir tout compris à la vie et, même si ça va mieux, je reste ce type qui rêve encore de devenir un Jedi.


www.theatregrenette.ch/evenements/yacine-nemra-yacine-nemra-est-faible/

«Yacine Nemra est faible», du me 5 au sa 8 nov. (20h), Théâtre de la Grenette, Vevey.

GALERIE