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«Le roman ne peut plus se permettre d’être un délassement»

Quentin Mouron signe aux éditions Favre un roman indispensable, en phase avec son époque.  | M. Papotto

Littérature
Après deux recueils de poésie, Quentin Mouron revient avec «La dernière chambre du Grand Hôtel Abîme». Un roman caustique sur l’univers des influenceurs.

Abîme: «cavité à la profondeur insondable», selon une application de mots fléchés pour téléphone portable. C’est bien de cela qu’il s’agit dans le dernier roman de Quentin Mouron: un vide insondable. Les abysses d’apparat des influenceurs à qui le monde, la réalité, la vie échappent. Jusqu’à retrouver Sixtine, instagrameuse et tiktokeuse aux centaines de milliers d’abonnés, jeune femme au prénom de chapelle comme un clin d’œil au culte qui lui est porté, morte à Venise, à l’été 2022. On retrouve son corps au bord de la piscine du luxueux hôtel où elle logeait, en marge d’une rencontre d’influenceurs. Qui l’a jetée dans le vide? Entre un coach sportif façon youtubeur Tibo InShape – référence clairement citée –, un envoyé spécial raté reconverti dans le people, et son ex-petit copain, les suspects ne manquent pas. 

Avec «La dernière chambre du Grand Hôtel Abîme», Quentin Mouron, 35 ans en cette fin juillet, dresse un portrait au scalpel de protagonistes aux prises avec de grands tourments existentiels. «Mais en même temps tout ça est un peu une blague, parce qu’ils sont à l’aise et n’ont pas d’immenses problèmes à régler non plus…», ironise l’auteur, joint par téléphone. Qui signe peut-être bien ici son roman le plus politique. «C’est vrai, oui. Politique au sens grec du terme polis, la cité, au sens où ce livre est peut-être celui qui embrasse le plus la société dans son entier et essaie de porter sur elle un regard le plus aiguisé possible.» 

Une écriture impressionniste

Si «Vesoul, le 7 janvier 2015», son précédent opus romanesque, relevait déjà d’une tentative de saisir le monde, l’écrivain lausannois né à Chardonne n’a sans doute jamais été autant en phase avec son époque que dans ce «Grand Hôtel Abîme» où alternent chapitres en prose, sans majuscules et sans points autres que la majuscule originelle et le point final, et chapitres à la tournure et à l’essence éminemment poétiques. «Le passage par la poésie m’a énormément aidé, analyse-t-il. J’ai toujours fait attention au style, ce qui aujourd’hui peut passer pour un gros mot. Une fois qu’on a une idée, il faut trouver le moyen de l’exprimer au mieux. Ici, ce détour m’a donné à la fois de la rigueur et de la liberté. Je ne m’interdis rien, et cela inaugure quelque chose d’assez nouveau chez moi.» 

Il en ressort une écriture impressionniste, qui fait se rejoindre la forme et le fond du récit, procédant par touches, sans jamais dresser de tableaux exhaustifs, mais en laissant les lecteurs dans une sorte de brouillard sociétal à la fois diffus et prégnant. «On est prié de s’intéresser à tout, on est dans un rapport de sollicitation constant, poursuit l’auteur. Comme les personnages de ce roman, on est sans cesse pris dans un tissu de combats, de revendications, et en même temps d’événements, de catastrophes auxquelles on doit faire face et par rapport auxquelles on doit se positionner. L’idée, dès lors, est d’essayer de dire quelles sont les forces qui traversent un individu en 2024, plus que d’arriver avec une idéologie toute préparée.» 

«Un certain manque de sérieux»

S’il refuse ainsi de s’ériger en donneur de leçons sur un monde qui part en vrille, Quentin Mouron ne cache pas voir «un certain manque de sérieux» chez les autrices et auteurs d’aujourd’hui. «On se dit qu’on peut continuer à raconter des petites histoires qui n’engagent à rien, qui ne parlent de rien, et faire tourner ça à la manière d’un commerce d’alimentation. Mais le roman ne peut plus se permettre d’être un délassement. On est dans un moment qui requiert une vraie pensée politique et beaucoup d’écrivains me semblent manquer le rendez-vous avec l’histoire en faisant comme si on pouvait continuer à ne pas se positionner.» Quentin Mouron, lui, a pris clairement position. Au-dessus de l’abîme. 

Plus d’infos:
www.editionsfavre.com/livres/la-derniere-chambre-du-grand-hotel-abime/

Quentin Mouron, «La dernière chambre du Grand Hôtel Abîme», éd. Favre, 176 p.

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