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Une œuvre… renversante

Antoine Salina s’est exprimé vendredi au nom de l’Abbaye de Saint-Maurice. Cette dernière reconnaît les dysfonctionnements relevés par le rapport Aubert, demande pardon aux victimes et prévoit une réforme en profondeur.  | C. Dervey – 24 heures

Ollon
Une voiture a percuté la sculpture installée dans le rond-point du Bruet. Elle a été redressée depuis, mais devra subir une rénovation à l’automne.

Les habitués du rond-point du Bruet, qui aiguille sur Bex et Collombey depuis Ollon, auront noté que l’œuvre d’André Raboud qui trône en son centre depuis 2010 a «piqué un somme» entre le 4 et le 13 juin derniers. La pièce en granit de près de cinq tonnes a fait les frais d’une rentrée nocturne un peu trop directe et s’est retrouvée couchée. Pour une œuvre baptisée «Le Grand dialogue», l’impact n’a pas dû laisser beaucoup de place à de longs discours…

On imagine que le choc a dû être notable lorsque la voiture a percuté la pièce sur le flanc ce fameux mercredi et l’a arrachée de ses fixations «peu avant 2h du matin», selon la Police cantonale. «Un conducteur circulant sur la route de Collombey a perdu la maîtrise de son véhicule, traversé le giratoire et fini sa course dans l’œuvre», résume-t-elle. Vitesse? Alcool? Les forces de l’ordre se refusent à préciser, mais selon un Boyard bien informé, «le type n’est pas près de revoir son permis».

Encore à réparer

La «victime» du chauffard a été remise sur pied le 13 juin par une entreprise spécialisée et en présence d’André Raboud, venu constater les dégâts. «Une intervention sera nécessaire, car l’œuvre a été endommagée, ajoute Philippe Pastor, municipal des travaux à Ollon. Elle sera donc redéplacée à Bex à l’automne, en octobre normalement, à la Marbrerie G.L.A.D, afin que l’équipe de l’artiste puisse faire le travail.» L’assurance du conducteur sera évidemment mise à contribution pour prendre en charge les frais de l’intervention.

Rétrospectivement, la réponse du syndic Jean-Luc Chollet en 2010 à une journaliste venue pour l’inauguration prête à sourire: «Ne vous inquiétez pas, la sculpture est suffisamment solide! Elle fait environ cinq tonnes, nous n’avons rien à craindre. Et le giratoire est fait pour qu’on ne puisse pas rouler sur son centre. En plus, nous avons choisi un éclairage spécial qui rendra la sculpture bien visible en soirée.»

Il est question «majoritairement» de «gestes ou de paroles impliquant des sous-entendus sexuels dans un rapport d’autorité», mais aussi, entre autres, d’«attouchements», de «séances de photographies ambiguës», d’«actes d’exhibitionnisme», et même de «viol» et d’«avortement forcé» dans une mission au Congo mise en place par des chanoines de l’Abbaye. 

Le tout a été couvert par «une culture du silence et de la banalisation» par souci «de préserver la réputation de l’Abbaye». Le rapport évoque un «règlement discret des affaires à l’interne», «des propos de victimes minimisés», des affaires étouffées et des abuseurs (parfois récidivistes) déplacés pour les faire oublier. 

Le rapport final établi par Pierre Aubert grâce au travail de deux chercheuses de l’Université de Fribourg, appuyées par une magistrate neuchâteloise pour les auditions, atteste en outre «de la dimension systémique des facteurs autorisant la survenue des violences et entraînant une gestion déficiente des cas signalés». En somme, le mal est très profond et appelle une réforme importante.

Si Pierre Aubert tient à préciser que «systémique ne signifie pas systématique», le rapport lui laisse un goût amer. «D’intenses regrets, bien sûr, de ce que l’insuffisance des moyens mis en œuvre pour empêcher ces violences ait certainement multiplié le nombre de victimes et ait si mal soutenu celles qui ont été, auraient pu ou auraient dû être reconnues. Du dépit aussi que beaucoup d’auteurs n’aient pas été confrontés à leurs actes.» En effet, le groupe de travail «n’a identifié aucun cas susceptible de tomber sous le coup de la loi qui n’ait déjà été jugé ou qui ne soit manifestement prescrit».

Culture du silence et banalisation

L’Abbaye de Saint-Maurice a dit faire acte de «contrition» et «demandé pardon aux victimes» par la voix du chanoine Antoine Salina, qui officiait en lieu et place du père abbé Jean Scarcella, «souffrant depuis quelques jours et en arrêt maladie pour un certain temps». 

Elle reconnaît «l’existence d’une culture du silence et de la banalisation, qui a affaibli la capacité d’écoute, le sens des responsabilités, et la vigilance communautaire, elle (l’Abbaye) qui n’a pas su tenir compte de signaux qui dénotaient d’attitudes parfois gravement dysfonctionnelles, et ceci de manière répétée».

L’Abbaye s’est engagée à «refuser toute forme de déni ou de repli» et à réaliser «une transformation en profondeur, pour que jamais de tels actes ne puissent se reproduire, ni être ignorés, ni être couverts». Un plan d’actions a été décidé. 

Il sera mis en œuvre par un nouvel organe, la Commission de conseil en gouvernance, composée de laïcs et de religieux, «présidée par un laïc et intégrant l’abbé», et s’articulera autour de cinq priorités: l’accueil des victimes, la refonte de la gouvernance, la prévention et la formation, le travail de mémoire et le dialogue avec la société civile. Un médiateur professionnel indépendant sera en outre nommé.

«Nous voulons que l’Abbaye ne soit plus un lieu d’ombre ou de silence, a ajouté Antoine Salina. Ce plan d’actions n’est pas une réponse symbolique. Il marque un tournant.»