Plongée givrée en altitude
Si la baignade dans le lac de Taney est autorisée, certaines communes valaisannes comme Arolla la déconseillent désormais dans leurs lacs pour des raisons environnementales. | L. Menétrey
Quelques centimètres de neige subsistent sur les berges du lac. Ici à Taney, à 1’400 mètres d’altitude, l’eau translucide reflète les silhouettes des cimes blanches et des conifères. C’est dans ce décor alpin que Sébastien, Marion, Nathalie et Krista retirent leurs couches et enfilent leurs costumes de bain. Le lac a presque la même température que l’air ambiant, quelques degrés à peine. Mais pas de quoi décourager ces adeptes du bain froid.
Depuis 2019, Sébastien Haemmerli et Marion Gabioud, fondateurs et instructeurs à «bainfroid.ch», organisent des initiations dans le Léman à Vevey, Lausanne et Genève mêlant techniques de respiration, régulation du système nerveux et méditation. Mais aujourd’hui, ils prennent de l’altitude pour une sortie récréative, accompagnés de Nathalie et Krista, deux novices initiées par Bainfroid.ch en mars 2025. «Ça nous a motivées! Depuis, on essaie de se baigner une fois par semaine dans le Léman. On n’a encore jamais essayé dans un lac de montagne, mais on aime tester de nouvelles choses, exprime avec enthousiasme Nathalie. Je trouve dommage que les gens n’explorent pas leur plein potentiel.»
Chaussons aux pieds et bonnet de natation vissé sur la tête, Krista est la première à se lancer. Un pied après l’autre, son corps est désormais immergé et un petit cri d’euphorie s’échappe. Les autres la rejoignent et partagent son excitation. «On se sent vivants!», s’exclame Krista.
Malgré l’habitude, Sébastien Haemmerli frissonne, lui aussi. «Ça faisait longtemps que je ne l’avais pas fait dans une eau si froide, ça revigore», lance-t-il. Massothérapeute de profession, il revient sur ce qui l’a poussé à se jeter à l’eau. «En 2015, après un accident de natation, je faisais des crises de panique dans l’eau. Une amie m’a encouragé à pratiquer le bain froid dans le lac, et j’ai découvert que ces crises cessent complètement à ces températures. J’ai compris la puissance du froid!» Formé selon la méthode du fondateur de l’hydrothérapie – l’abbé Kneipp – et inspiré par les apnéistes, il estime que le froid fait partie de notre nature. «Il est pratiqué depuis toujours, ne serait-ce que parce que l’eau chaude du robinet est un confort arrivé dans les années 60.» Sa règle d’or pour les initiants: écouter son corps et respecter ses limites. Car si cette activité en altitude nécessite des précautions pour le corps (voir encadré), elle implique aussi de tenir compte de son impact sur l’environnement.
Perturbation d’un biotope fragile
Les lacs de montagne étant des écosystèmes fragiles, la baignade peut en effet perturber leurs équilibres naturels. Certaines Communes ont d’ailleurs pris des mesures, afin de préserver leurs biotopes uniques. C’est le cas d’Evolène, où la baignade est désormais déconseillée dans le célèbre lac bleu d’Arolla, qui attire chaque année des milliers de randonneurs.
Après avoir observé des changements de couleur de l’eau, un panneau informe les visiteurs depuis cet été. «Le piétinement régulier des rives, qui sont des milieux particulièrement sensibles, peut avoir un impact sur la végétation et les espèces rares qu’elles abritent», relève le biologiste Yann Clavien. Ce chef de la section Nature et Paysage à l’État du Valais souligne également que les produits exogènes, comme la crème solaire ou les résidus de produits de lessive, altèrent la qualité de l’eau. «Tout est une question de proportion, nuance-t-il. Quelques baigneurs ne posent pas forcèment de problème. Mais depuis la pandémie, la fréquentation de certains lacs de montagne a largement augmenté. Ces questions de réglementation ne se posaient presque pas auparavant, seulement dans des cas très particuliers.»
De plus, il distingue les effets de la baignade selon la saison. «L’impact en hiver est probablement moindre, car on est hors période d’activité de la faune», estime-t-il tout en rappelant le principe de précaution.
Sensibiliser plutôt qu’interdire
Bien que Taney soit un site inscrit à l’Inventaire fédéral des sites de reproduction de batraciens d’importance nationale, la baignade y est autorisée. «De par sa superficie, les substances sont plus diluées que dans un petit lac comme Arolla», soutient le scientifique valaisan. Ce dernier, ainsi que la Commune de Vouvry, envisagent des mesures de préservation. «Des gouilles pour batraciens ont déjà été aménagées en tant que biotopes de substitution, mais il se pourrait que d’autres précautions soient prises si l’on observe une quelconque dégradation. Notre priorité reste l’information et la sensibilisation. Des panneaux supplémentaires ou un garde du site sont envisageables», explique Yann Clavien. Des décisions seront prises lors de la prochaine séance de commission, le 5 janvier 2026.
De leurs côtés, les baigneurs Sébastien et Marion se montrent attentifs à ces questions écologiques. «Nous, les adeptes de bains froids sommes très sensibles à notre environnement, étant donné que notre pratique en dépend.» Sensibilisés à ces impacts, ils ont depuis renoncé au lac d’Arolla et privilégient les lacs artificiels, comme le Lioson aux Mosses. «On fait en sorte de minimiser notre impact, en évitant les zones où il y a peu d’eau, on ramasse nos déchets et on ne met pas de crème solaire, assure Sébastien. Moi-même, je me baigne peu dans les lacs de montagne, parce que j’ai des réticences. Je favorise les rivières» Il plaide aussi pour une meilleure législation. «Parfois, on appelle les gardes-faune et ils ne sont pas en mesure de nous dire si la baignade est autorisée ou pas. Il faut que ça change», conclut-il.
Chaque plongeon dans un bassin d’eau glacée requiert évidemment de la prudence pour soi, mais aussi pour les autres habitants de ce biotope.
Les effets physiologique
Le Docteur Mathieu Saubade, médecin du sport au CHUV et Unisanté et spécialisé en bain froid et cryothérapie, distingue les effets immédiats de l’immersion de ceux observés à long terme. «Dès l’entrée dans l’eau froide, les récepteurs sensoriels de la peau sont stimulés, ce qui entraîne une vasoconstriction (diminution de calibre) des vaisseaux sanguins sous la peau, accompagnée d’une augmentation du rythme cardiaque et d’un ensemble de réactions cardio-vasculaires.» Au niveau cérébral, différentes hormones sont libérées; endorphines, adrénaline, sérotonine et dopamine. «Les endorphines n’agissent pas instantanément, mais après une petite minute. Elles sont là pour résister au choc thermique et provoquent cet effet revigorant, souvent accompagné de cette envie de rire.» Le CHUV étudie d’ailleurs ces effets chez des patients en psychiatrie, étude pour laquelle le Docteur Saubade est expert. La prudence reste toutefois de mise. Une durée d’immersion trop longue peut entraîner une tétanie musculaire, une surstimulation du système cardiovasculaire ou une hypothermie. Sur le long terme, les principaux bienfaits observés concernent l’amélioration de l’humeur et du système cardiovasculaire. Quant à l’argument souvent avancé d’un «boost» du système immunitaire, ce dernier se montre prudent. «Quelques données montrent un lien de causalité, mais celles-ci n’ont pas une grande pertinence scientifique. Pour l’instant, il faut éviter les raccourcis.» Rappelons que l’exposition au froid est proscrite pour les maladies cardiaques ou neurologiques, comme l’épilepsie.

Les précautions du Dr. Saubade
1. Demander l’avis à son médecin.
2. Ne jamais y aller seul. Commencer avec une personne expérimentée.
3. S’équiper: bonnet (la tête perd 30% de chaleur), gants et chaussons en néoprène, car les extrémités sont très vascularisées et donc sensibles au froid.
4. Y aller progressivement, ne pas plonger.
5. Rester près du bord.
6. Sous 15 degrés de température de l’eau, il faut limiter la durée d’immersionà une minute par degré.
7. S’habiller rapidement quand on sort de l’eau. «Les endorphines continuent d’agir, vous donnant l’impression d’avoir chaud, mais elles peuvent tromper le corps. Un choc thermique peut survenir et le réchauffement peut prendre plus de temps.»
8. Éviter la douche chaude immédiate, pour ne pas provoquer un choc thermique trop brutal.







