
Raphaël Morezzi a retrouvé l’agenda de l’année 1942 de son oncle Guerino. Il lui a servi de base à son livre «Guerino 1942». | K. Di Matteo
Délicatement, Raphaël Morezzi extrait le petit livret grenat de la pochette plastique où il le conserve sous vide comme une relique. L’Aiglon de 68 ans se souvient encore d’«avoir été sous le choc» lorsqu’il l’a trouvé, il y a une quinzaine d’années, au fond d’un carton, au milieu des médailles de gym, photos jaunies et autres rares affaires conservées de son oncle Guerino.
Dans cet agenda de l’année 1942, le frère de son papa raconte son programme quotidien. «Cela se lit comme un roman», lance Raphaël, attablé dans le salon de la maison familiale du quartier de la Fontaine, à Aigle. À tel point que le simple polycopié qu’il prévoyait à l’origine est finalement devenu un livre de 300 pages auto-édité: «Guerino 1942». Soit l’année du départ de son oncle pour l’Italie et la guerre, dont il n’est jamais revenu. Dès lors, comment son carnet a-t-il fait son retour dans le Chablais? Mystère.
La fin d’un tabou
Au fil des lignes, la vie de ce parent oublié ressurgit, et en même temps une page douloureuse de l’histoire familiale. Évoquer Guerino était toujours tabou chez les Morezzi. Parti à 25 ans dans son Piémont d’origine comme volontaire au sein de l’armée italienne (et contre l’avis de ses parents), il fut déporté en 1944 dans le camp allemand de Mittelbau-Dora, où il mourut le 25 juin d’une pneumonie, ce que la famille n’a appris que dix ans plus tard par un courrier de l’État italien. «Jusque-là, ma grand-mère allait tous les jours à la boîte aux lettres en espérant des nouvelles, et quand elle dressait la table, elle mettait une assiette pour lui, au cas où.»
Raphaël a donc voulu raconter l’histoire de son oncle sur la base de ses souvenirs, du fameux carnet (que sa fille a numérisé par sécurité) et des recherches effectuées avec ses enfants, dans un livre qu’il a voulu bilingue. Sur les pages de gauche, le texte en français (la langue dans laquelle écrivait Guerino, à l’exception d’une semaine), sur celles de droite la traduction en italien. «Car l’intérêt est vif en Italie, où il a été très bien reçu lorsque j’y ai fait une présentation, explique Raphaël, entrepreneur à la retraite, qui retourne très régulièrement à Masserano, une de ses communes d’origine. J’ai eu droit à quelques articles dans la presse transalpine, dont un sur le site de La Stampa.» Du reste, les 250 exemplaires de son ouvrage sont quasi épuisés et une réédition est prévue.
De l’enthousiasme à l’horreur
Le cœur du livre reprend mot pour mot (avec les fautes d’orthographe et autres interventions au stylo) le contenu de l’«Agenda des constructeurs» de l’année 1942, dont Guerino a noirci les pages. Le plâtrier-peintre de profession y a scrupuleusement consigné son programme quotidien, ses états d’âme, ses dépenses ou les principaux faits d’armes sur les fronts européen, asiatique ou africain. «Et quand il n’avait plus de place dans la case du jour, il faisait des renvois en fin de carnet.»
Jusqu’en mars, on y découvre des bribes de sa vie à Aigle et de son quartier de la Fontaine. Puis, en bon sympathisant fasciste, toute sa fierté du 6 mars, au moment de prendre le train à Aigle pour aller défendre la patrie. Enfin, en Italie, on sent «cet amoureux de la vie» s’obscurcir au fil de journées faites de travail harassant, d’ennui, de peur de partir sur le front russe, de manque de nourriture, de découragement et de regrets… Pour une raison inconnue, une trentaine de pages de juillet et août ont été arrachées.
Le passage le plus poignant intervient le 19 novembre. «Ma grand-mère va le trouver à sa caserne de Moncalieri (ndlr: en périphérie de Turin), raconte Raphaël. Elle arrive le jour où il se prépare à partir à la guerre. Tout à son bonheur, Guerino se précipite avec une dispense pour obtenir du temps avec sa maman. Le capitaine la déchire. Il ne verra sa mère que 5 minutes.» Les dernières entre eux.
Visite à Mittelbau-Dora
Les recherches dans les archives familiales et auprès d’historiens en Suisse et en Allemagne ont permis de collecter de précieuses informations, notamment un bulletin de santé de l’infirmerie de Mittelbau-Dora signé de la main d’un médecin, les derniers jours avant la mort de Guerino.
Le livre se termine d’ailleurs sur une description subjective de la visite de Raphaël et sa fille du camp où l’oncle a perdu la vie, probablement dans ce crématoire devant lequel l’auteur frissonne, ressent comme une présence, avant de repartir en hâte. «Je n’ai plus qu’une envie, moi qui étais impatient de connaître ce lieu, c’est de laisser derrière moi toutes les âmes de ces martyrs, écrit-il. De laisser enfin dans la paix ces dizaines de milliers de Guerino.»
Plus d’infos:
«Guerino 1942.» 29 francs à Aigle chez Amiguet Martin et Chronopage, et à Saint-Maurice, à la librairie Saint-Augustin.
Commandable sur: Thebookedition.com (22 euros + frais de port) ou via l’adresse: livre.guerino1942@gmail.com
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