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« Le dézonage de ma parcelle, c’est ma retraite qui disparaît ! »

Pierre Ducraux, ici devant sa parcelle. «Comment est-il pensable, en Suisse, que l’on puisse être exproprié sans aucune compensation?» La loi prévoit un dédommagement dans certains cas, mais il faut en faire la demande auprès du Canton, qui l’examinera ensuite. «La grande majorité des propriétaires concernés vont devoir se battre», estime l’habitant de Saint-Légier.   | R. Brousoz

Blonay-Saint-Légier
La mise en œuvre de la LAT a un impact important sur la vie de certains propriétaires. Le Saint-Légerin Pierre Ducraux témoigne d’une situation qui l’accable depuis huit ans.

«Ma vie est devenue un enfer.» À 67 ans, Pierre Ducraux aurait aimé profiter de sa retraite. Mais son quotidien est bien loin de ce qu’il s’était imaginé. Noyé dans la paperasse, rongé par le souci. «J’en suis au stade où je ne suis plus qu’une procédure désespérée», résume froidement cet habitant de Saint-Légier-La Chiésaz. Comme de nombreux propriétaires fonciers, cet ingénieur en électrotechnique fait douloureusement face à l’application de la LAT, dont la révision a été acceptée par le peuple en 2013.

Au cœur de ses tourments? Une parcelle constructible de 3’700 m2, qu’il possède juste au-dessus de sa maison, dans le quartier de Leyterand. Une surface tout en pente, couverte de prés et de bosquets. «Mes ancêtres y faisaient pâturer leurs bêtes», précise-t-il. Il y a sept ans, c’est le premier choc: le terrain est placé en zone réservée. Nouveau coup de massue en juin dernier, lorsqu’il a été requalifié en «zone agricole protégée» lors de la mise à l’enquête du Plan d’affectation communal (PACom) hors centre.

De 800 à 3 francs le mètre carré 

Du jour au lendemain, sa valeur a dégringolé. «Alors qu’il était environ de 800 francs le mètre carré, son prix est aujourd’hui de 3 francs», estime le Saint-Légerin. Pourtant, Pierre Ducraux l’assure: il n’a jamais eu l’intention de construire sur ce terrain, ni même de le vendre. «En 1989, j’ai racheté la part de ma sœur, raconte-t-il. Mon but était de sauvegarder ce patrimoine familial. Je me suis endetté pour ça, j’ai dû mettre mes études entre parenthèses.» 

Quelques années plus tard, il se lance professionnellement. «En tant qu’indépendant, je n’avais pas de 2e pilier, explique-t-il. Ce terrain est devenu en quelque sorte mon fonds de pension. Je l’ai mis en garantie auprès de la banque pour acheter un immeuble.» Un matelas financier sur lequel tout reposait, et qui a soudainement disparu. «Ce dézonage représente ni plus ni moins que la perte totale de mon fonds de pension. Conséquence: je dois encore travailler malgré mon âge…»

Inquiétudes dès le début

Aujourd’hui très affecté, Pierre Ducraux n’en reste pas moins révolté contre les autorités. Dès le début, le sexagénaire dit s’être montré proactif face à un scénario qu’il craignait déjà. «Peu après l’acceptation de la nouvelle loi, j’ai contacté la Commune pour savoir si ma parcelle risquait d’être dézonée. À chaque fois, on m’a répondu que je serai avisé en temps utile. Au Canton, on m’a indiqué à plusieurs reprises qu’il y avait peu de chances, sans pour autant me le confirmer par écrit.» Et de brandir l’article 4 de la LAT, qui stipule que «les autorités chargées de l’aménagement du territoire renseignent la population» sur l’évolution du processus. «Si l’on m’avait averti entre 2014 et 2016, j’aurais pu me retourner!» 

En mars 2017, alors qu’on lui annonce finalement un dézonage à venir, il tente le tout pour le tout. Dans l’urgence, il met à l’enquête la construction de deux villas sur sa parcelle, espérant pouvoir la sauver. Mais il est déjà trop tard, le permis de construire lui est refusé. Sa santé en prend alors un sérieux coup. Il ne dort plus, mange moins. «J’ai vieilli de 10 ans durant les deux années qui ont suivi», lâche Pierre Ducraux. «Aujourd’hui, c’est une affaire qui occupe en permanence mon temps et mon esprit. Elle détruit ma vie et celle de ma compagne. Je ne suis plus une personne, je suis devenu ce problème.» 

« Situation regrettable »

Contacté, le municipal chargé de l’urbanisme Thierry George évoque une «situation regrettable, comme pour d’autres propriétaires». «Le périmètre hors centre est surdimensionné en zones à bâtir, rappelle-t-il. Cela oblige la Municipalité à prendre des décisions selon des règles mises en application par les services de l’État.» 

«Je ne vais pas pouvoir m’exprimer sur ce qui a été fait par mes prédécesseurs», poursuit l’édile à la tête de ce dicastère depuis la fusion en 2022. «Mais cela a déjà fait l’objet de procédures de recours qui n’ont pas abouti. Je pense qu’en 2014, il fallait être bien malin pour savoir comment les droits des parcelles allaient être traités 10 ans plus tard.» 

Encore combatif malgré tout, Pierre Ducraux a fait opposition au nouveau PACom. «L’application de la LAT est tellement injuste à l’égard des personnes qui, comme moi, ont été plutôt économes dans leur vie!» Et il n’est pas le seul à monter au créneau. Au terme de la mise à l’enquête le 4 juillet dernier, la Commune de Blonay-Saint-Légier dit avoir enregistré «une cinquantaine d’oppositions et observations».